Bonjour à tous,
Je ne suis pas du tout certaine que ce soit une bonne idée de mettre ce message sur le forum. N’hésitez pas à me le dire si un tel message est déplacé…
Cela fait maintenant 33 ans que je suis amie avec Josée et Lisette, mes deux amies atteintes de l’Ataxie. En réalité moi et Josée avons été en contact dès notre naissance. Nous sommes toutes les deux nées à l’hôpital de Granby, en 1966, à trois jours d’intervalle. Nous avons été dans la même pouponnière en même temps. Josée a été baptisée quelques jours plus tard sous le nom de Marie-Josée-Carmen Daigneault alors que moi je fut baptisée sous le nom de Marie-Josée-Carmen Tétreault. Bien que je ne sois pas croyante, je crois qu’avec autant de similitude, nos chemins étaient dus pour se croisés un jour...
En réalité, nous nous sommes connut à l’âge de 9 ans. Nous en avons 42 aujourd’hui. Jo-bine (nous nous sommes toujours appelé mutuellement Jo-bine) fait partie de mes souvenirs d’enfance, d’adolescence et de femme. Que de beaux moments nous avons partagés et partageons encore !
Tout au long de ces années, Jo-bine a été ma grande amie, ma confidente. J’en fut autant pour elle. J’ai été présente dans sa vie à toutes les étapes de la maladie. Nous avons pleuré ensemble lorsqu’elle a su qu’un jour elle serait en fauteuil roulant. Il en fut de même le jour où elle s’est assise dans ce satané fauteuil pour la première fois. Le jour ou ses parents, tous deux malades, n’ont eu d’autre choix que de la « placer » dans un CHSLD, nous avons encore pleuré. Que d’injustices !!!
Moi et Josée on parle de tout. La maladie n’a jamais été un tabou entre nous. Il n’y a qu’un seul sujet que je n’ai jamais abordé avec elle et c’est ce sentiment de culpabilité qui m’habite continuellement.
Normalement, je vais voir Josée et Lisette à toutes les semaines au CHSLD où elles habitent à Granby. J’en profite pour faire leurs commissions à l’épicerie. Je place aussi le linge que Lisette veut porter durant la semaine à venir sur des supports avec des cartons sur lesquels sont inscrits les jours de la semaine. Lorsque je suis dans l’impossibilité de me rendre à Granby pour une quelconque raison, je me sens très coupable. Je me sens coupable parce que Jo-bine n’aura pas son fromage en grain. Parce que Lisette n’aura pas son yogourt préféré pour prendre ses pilules. Je me sens coupable parce que je sais que Lisette ne pourra pas porter le linge qu’elle désire durant la prochaine semaine; Que certaines préposés lui mettront n’importe quoi sur le dos parce qu’elles ne la comprenne pas ou ne prenne pas le temps de la comprendre !
Josée a toujours rêvé d’aller à Walt Disney depuis qu’elle est toute petite. Elle économisait tout son argent dans le but que nous y allions ensemble elle et moi. Nous avions environ 25 ans lorsqu’elle me dit qu’elle avait amassé $5 000.00 et qu’elle me payait mon voyage. À l’époque je gagnais de petit salaire et je n’avais pas d’économie. J’ai refusé que Josée paye mon voyage. Je trouvais que cela n’avais pas d’allure qu’elle paie pour moi. Je lui ai dis que lorsque j’aurais l’argent nécessaire, on irait. Lorsque j’ai eu cet argent, elle n’était plus en état de voyager…. Aujourd’hui je regrette tellement de ne pas y être allé lorsqu’elle me l’a demandé ! J’aimerais tellement revenir en arrière et lui dire « Bien sûr qu’on va y aller Jo-bine! ». Aujourd’hui je comprends que ce voyage n’avait pas de prix pour elle. C’était le rêve de sa vie…. Je me sens tellement coupable de ne pas lui avoir fais ce cadeau ! J’espère tellement qu’elle ne m’en veut pas de lui avoir refusé ce plaisir… J’aurais besoin de lui demander pardon, mais je ne sais comment aborder ce sujet.
Je me sens coupable lorsque je me rends compte que parfois elles endurent des choses qui n’ont pas d’allure aux CHSLD où elles habitent. Le problème c’est que parfois JE NE SAIS PAS QUOI FAIRE. Dans la résidence où elles habitent, il n’y a que des personnes âgées en grande perte d’autonomie. La chambre de Josée se trouve à l’étage des personnes atteintes de l’Alzheimer. Il n’y a aucun résident de lucide sur cet étage. Il est évident qu’elle n’est pas à sa place. Mais elle est où sa place ? Il n’y a pas d’autres Centres pour des personnes lourdement handicapées à Granby. Elles pourraient s’en venir à Montréal, ce serait pratique pour moi qui habite à Montréal. Cependant je ne crois pas que ce soit une bonne idée. Elles ont très peu de visite. À part moi, il n’y a qu’une de leurs sœurs qui leur rende visite ainsi que leur mère, à l’occasion. Leur père est décédé l’an dernier. Si elles déménagent à Montréal, il est certain qu’elles ne verraient pas leur sœur aussi souvent. Quant à leur mère, elles ne la verraient plus. Celle-ci est malade et a beaucoup de difficulté à se déplacer. Je me sens coupable de ne rien faire pour améliorer leur sort. Mais QUE FAIRE ?
Je me sens coupable lorsqu’elles essaient de me dire quelque chose et que je n’arrive pas à les comprendre. Lorsqu’elles me demandent de la salade de fruit et que je leur achète du jus de fruit.
Je me sens coupable lorsque je pars en voyage. Je sais qu’elles auront peu de visite durant mon absence. Lorsque je reviens, j’ose à peine parler de mon voyage. J’ai l’impression de les narguer si j’en parle.
Je sais que c’est complètement stupide mais depuis quelques années, lorsque je vis de beaux moments, j’évite de leur en parler. Moi et Josée on rêvait toutes les deux de publier un livre lorsqu’on était jeune. Josée rêvait de publier un livre de poésie et moi un livre historique. Je suis une passionnée d’histoire. En 2007 j’ai publié un livre sur l’histoire d’une municipalité du Québec. J’en ai parlé à Josée que plusieurs mois après le lancement de ce livre. Je me sentais terriblement gênée d’avoir réalisé seule un de nos rêves à toutes les deux.
Je ne sais pas pourquoi je vous raconte tout ça. Peut-être parce que j’avais besoin d’en parler à quelqu’un et que je ne sais à qui me confier. J’en ai déjà parlé avec certaines de mes amies mais elles ne me comprenne pas. Ou peut-être qu’il n’y a rien a comprendre…
Je crois que parfois je me sens simplement coupable d’être en santé…
Au plaisir de vous lire,
Josée